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 soleil vert 

nature / culture : le temps des hommes 

L’homme ne s’adapte pas. Il adapte le milieu dans lequel il s’inscrit pour y vivre. Il y invente les codes et les usages qui lui permettront de former une civilisation et d’entrevoir la création d’une cité pour les générations qui lui succéderont.

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MILIEU n. m (de mi et lieu)

Espace matériel dans lequel le corps est placé.

Entourage, société habituelle ; sphère intellectuelle, morale, sociale où nous vivons ; condition sociale.

 

C’est cette définition qu’il est intéressant de mettre en avant pour comprendre l’homme et sa cité, définition qui resitue le milieu comme correspondant à une surface, à un territoire homogène, avec des utilisations homogènes et une population homogène.

La ville répond à son milieu, milieu dont elle est l’essence, mais aussi milieu que l’homme a modelé pour y survivre puis grandir. C’est de là qu’est née la ville, qui depuis la sédentarisation des peuples nomades, n’a cessé de prendre le dessus sur son milieu originel pour évoluer.

 

« Quel est l’animal qui marche sur quatre pattes le matin, sur deux pattes à midi, sur trois pattes le soir ? »

 

C'est à ce moment précis de 'l'histoire' que l'homme se perd.

Œdipe va croquer dans la pomme et être puni par les Dieux…

En répondant à l’énigme du Sphinx, en acquérant donc le savoir inspiré, Œdipe va en effet vers ce qu’il croit être sa liberté, qui n’est en fait que son destin et sa perte.

C’est l’histoire de l’humanité que conte Cocteau en s’appuyant sur la vie du héros grec ; une mise en abîme du temps des hommes face à leur savoir, à leur destin.

Le matin à quatre pattes, l’homme est aveugle, il se redresse à midi, pensant avoir acquis un savoir qui lui permettra seulement d’avoir peur du bâton sur lequel il devra s’appuyer, pour tenter de ne pas se crever les yeux face au dénouement de sa vie et au défilement des erreurs engendrées par ce qu’il croyait être sa liberté.

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C’est ici la perfectibilité de l’homme qu’il faut mettre en avant. Le fait que contrairement à l’animal, l’être humain est un être d’histoire; qu’il a, si ce n’est la faculté, tout au moins la croyance que ses victoires, ses actions et donc son passé, vont modifier son avenir, et qu’il ne sera pas le même à la fin qu’au début de sa vie. Qu’il soit libre ou comme Œdipe, sujet au destin que lui infligent les Dieux, l’homme, et donc l’humanité entière, est basé sur un ensemble d’acquisitions historiques, une culture qui dès lors, même si elle en fait partie, s’éloigne de la nature.

C’est l’architecture, ainsi que les milieux auxquels elle appartient, en formant - depuis que l’homme a réglé, technocratisé puis polarisé les sociétés sur lesquelles il a voulu régner - la cité, aujourd’hui bridée dans son évolution, qui nous amène à nous questionner sur sa relation avec la nature.

Une remise en cause de son action sur un milieu originellement naturel qui est au centre des réflexions urbaines.

C’est une prise de conscience réelle que la ville n’est plus à la recherche de nouvelles représentations symboliques ou formelles, mais bien d’un nouvel essor d’identité territorial. Identité avec un milieu en dégradation, un milieu tant dénié par l’homme et sa volonté de ne pas s’y soumettre. Un milieu alors oublié, mais auquel le résultat de nos actions culturelles et techniques est aujourd’hui confronté.

Actions de colonisation n’étant à l’origine alimentées que par un devoir de survie, mais peu à peu mises au service d’un orgueil scientifique et politique, un orgueil humain qui n’a causé qu’une sans cesse évolution grandissante des villes, atteignant aujourd’hui sans surprise leurs limites.

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Limites entre un artefact et un milieu répondant à une topographie, un climat, une faune, une flore ; un milieu ne répondant qu’à son propre rythme biologique.

Limite entre un artefact et son milieu originel, repositionnant la notion de nature au cœur de débats sans doute emplis de remords.

 

Débats non pas sur la nature elle-même, mais bien sur ses relations avec notre réel, sur nos relations avec elle. Débats sur une nature auxquelles nos origines et nos actions sont liées. Débats qui tentent de repositionner dans un milieu définit la place d’un territoire naturel par rapport à un territoire artificiel, culturel et historique.

Débats enfin qui nous questionnent plus qu’ils nous rassurent, car même si certaines pistes émises dénoncent cet amour soudain pour la nature, ils participent aussi à nous rendre compte que cet amour est né dans « le remords de l’acte, une fois la haine satisfaite ».

 

C’est Freud qui nous renvoie implicitement à la conclusion que si nous reparlons aujourd’hui de la notion de nature, difficilement dissociable de celle de la ville, c’est qu’un ‘malaise’ s’est installé, nous faisant fortuitement prendre conscience d’un sentiment de culpabilité, non peut-être pas de ‘la mise à mort du père originaire’, mais bien de l’humiliation portée à une mère fondatrice.

 

C’est donc bien de manière coupable que nous avons le droit de parler de cette nature. Une nature difficilement abordable car paradoxalement liée à une histoire, celle de l’humanité et de sa soif de perfectibilité. Une nature contemporaine, fatalement liée à l’évolution d’une culture humaine qui a ignoré ses origines.

 

Une nature contemporaine qui nous échappe et qui ne peut, dans son approche sensible et théorique, se distancier d’une vie urbaine vécue par l’homme et qui pose encore de nombreuses questions quant à son sens.

 

Pouvons-nous alors encore nous réclamer d’elle ?

Son existence n’est-elle pas à jamais ce commencement depuis longtemps, si ce n’est depuis toujours, dépassé ?

Pouvons-nous encore la qualifier et prendre position sur sa réalité ?

Ou pouvons-nous simplement nous en émouvoir ?

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Ces interrogations rejoignent l’idée précédente que la nature contemporaine est bien loin d’un paradis terrestre originel, ou de ce temps qui a pris fin dès lors que l’homme s’est sédentarisé et nous renvoient alors à une définition du mot nature plus symbolique, à une intériorisation de notre culpabilité et à une extériorisation de certains sens oubliés, à une mémoire commune nous renvoyant à une partie de notre inconscient.

 

Dans tous les cas, l’idée de nature est là.

Nous ne pouvons pas nous y soustraire.

Comme si ce rêve d’un milieu vierge rendait plus supportable et nous permettait de vivre dans la violence actuelle de nos villes.

C’est dans cette image de la nature, ou plutôt dans cette nature comme image, comme notion, que l’homme se réfugie pour combler cette sensation de paradis perdu.

Une nature effectivement comme notion, car nous nous retrouvons actuellement face à elle sans savoir comment l’aborder.

 

Nature sujette à une fortuite théorisation, préalable à un scientisme trop occupé à retracer son parcours en écrivant ses mémoires, pour espérons-le, rebondir et accompagner l’architecture à poser de réelles questions face aux problématiques contemporaines portant sur la prochaine mais néanmoins toujours en cours évolution de la forme des villes.

 

Nature nécessairement théorique voire philosophique, car même si nous ne savons ni comment la regarder, ni comment l’aborder, ni même comment y accéder (car difficilement définissable), elle est et a toujours été la seule échappatoire mentale que nos origines ainsi que notre inconscient nous suggèrent pour tenter de retrouver une certaine liberté tant désirée. Une liberté originelle mais tellement actuelle dans le sens où le désir de l’atteindre serait la définition de notre présent.

 

Nature encore comme notion, notion alors fondatrice d’une philosophie tant rejetée car sans réponse à cette question tout autant intemporelle qu’universelle, qui pourrait être de savoir si nous sommes capables d’aborder le présent et d’approcher le bonheur, tout en nous rendant compte que la nature est notre source originelle mais aussi l’issue destinale de notre devenir intellectuel.

 

Cette interrogation est soulevée dans l’unique but de repositionner l’homme dans son temps réel, l’homme en tant qu’être cultivé, être historique, s’étant fait depuis longtemps mettre à la porte du paradis terrestre et se devant d’évoluer dans un milieu qui, même s’il en est de plus en plus l’esclave, lui appartient, le reflétant, tout à la fois empreint de cette culture et de l’histoire qu’elle construit.

 

Ce même homme, être de culture, ne devrait-il alors pas nous laisser penser qu’il ait à se soumettre à la nature en tant qu’une de ses ultimes fins ?

C’est en effet ce que nous pourrions penser d’un point de vue biblique, ou encore d’un point de vue scientifique qui a plus forte raison nous apparaîtrait par effet retard, mais non pas d’un point de vue théorique, qui réfuterait cette thèse pour nous aider à reprendre les choses en main, face à la compréhension d’un phénomène dont la clef de voûte serait cette prise de conscience collective que la colonisation passive, menée depuis la sédentarisation des peuples et dont les vecteurs ne sont que l’addition de représentations symboliques formelles, arrive aujourd’hui à une situation de crise.

L’homme cultivé, historique par défaut, ne doit donc pas s’assujettir devant une nature au goût du jour, mais bien au contraire, de part sa culture, la comprendre, l’analyser pour ainsi la définir et essayer de trouver en elle quel pourrait être le recommencement de sa cité, de sa ville atteignant son paroxysme.

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Revenons sur le sens que l’on peut porter au mot nature ; à cette notion, cette image de nature.

Nature ‘naturelle’, originelle ou encore nature ancestrale, c’est bien de cette image vierge et fantasmatique dont il est question dans certains débats architecturaux et urbains et non pas l’image d’une nature urbaine ou agricole vécue quotidiennement et relevant de l’art.

 

Nos interrogations trouvent alors un sens dans cette nature en questionnement, ne répondant à aucune règle, ou plutôt ne répondant à aucune de nos règles mais aux propres siennes ; parfois dures, soudaines pour l’homme, toujours incontrôlables, en continuelle adaptation ; alors en perpétuel recommencement. Une nature comme paysage renaissant, ne passant pas par la main de l’homme ; paysage tout de même construit, structuré, ayant non pas une logique mais bien une faculté réelle d’adaptation propre à une situation environnementale.

 

Essayons de replacer l’être humain au centre de la réflexion.

Essayons de repositionner notre réel par rapport à cette précédente définition d’une image de la nature.

Revenons sur le fait que, même si l’homme est un être originellement issu d’un milieu naturel, donc originellement (voire instinctivement) lié aux caractéristiques de ce milieu, il est aussi animé par une appartenance historique et culturelle.

Et c’est de part cette appartenance à une culture, de part cette position dépendante dans un territoire urbanisé, socialisé, lié à une histoire, que le temps des hommes diffère du temps de la nature.

En plus de notre recherche d’un imaginaire de la nature, et en plus de notre questionnement sur sa définition, c’est en effet cette notion de temps qui s’ajoute comme une réflexion sur les fondements de notre appartenance au monde.

Une appartenance difficilement analysable, car la tentative de raisonner sa véracité pourrait être la cause d’une névrose universelle, une aliénation temporelle.

Le fait que nous nous questionnions sur le sens d’une nature révélatrice, réparatrice et fondatrice, serait alors peut-être la conséquence de cette aliénation, la conséquence du questionnement de l’homme sur son appartenance au monde, sur son appartenance au réel, au présent.

 

« Nous ne tenons jamais au présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours, ou nous rappelons le passé, pour l’arrêter comme trop prompt : si imprudents, que nous errons dans des temps qui ne sont pas les nôtres, et ne pensons pas au seul qui nous appartient […] », Pascal.

 

Notre quête de nature serait donc cette recherche d’appartenance au présent ?

Si nous associons l’espace nature au temps, nous remarquons que cette association renvoie à de nombreuses notions, portant sur l’être humain comme existant.

Un temps comme montre biologique inflexible, mais aussi comme maître symptomatique de notre impuissance.

Un voire plusieurs temps auquel l’homme ne peut ou ne veut pas s’identifier, car ils sont pour lui incontrôlables et fortuitement ressentis.

Ces temps qui rythment la nature sont à la fois infimes et infinis.

 

Fortuitement infini pour l’homme, car même s’il en est une des parties, il sait qu’il ne lui résistera pas.

Ce premier temps serait cette montre biologique inflexible rythmant l’espace entre la création originelle et le chaos cosmique ; un temps universel où la nature a précédé et survivra à l’instant des hommes.

Un temps qui renvoie l’homme au monde en tant que mortel, en tant que partie de l’évolution naturelle des espèces.

 

« Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,

Dont le doigt nous menace et nous dit : "Souviens-toi !"

Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d'effroi

Se planteront bientôt comme dans une cible;

 

Le plaisir vaporeux fuira vers l'horizon

Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse;

Chaque instant te dévore un morceau du délice

A chaque homme accordé pour toute sa saison

 

Trois mille six cents fois par heure la Seconde

Chuchote: Souviens-toi!- Rapide, avec sa voix

D'insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,

Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde! […]

 

C’est cette seconde dont parle Baudelaire qu’il est intéressant d’assimiler à la nature comme deuxième temps qui éclairerait l’homme sur son rapport au réel.

Un temps de la nature pouvant être assimilé au renouveau, non pas comme transformation mais comme genèse permanente, véritable transition entre ce qui part pour laisser place.

C’est ce temps infime à la fois réducteur pour l’homme mais tout aussi créateur du plus grand désir qu’il ressent.

Temps comme maître symptomatique de notre impuissance et de cette liberté tant désirée.

Temps de la renaissance perpétuelle, véritable seuil entre la vie et la mort.

Seuil que l’homme espère approcher au plus près sans pour autant vouloir le franchir.

Seuil qui nous effraie et nous renvoie au fait que, même les yeux crevés, l’homme atteindra sa liberté.

 

Or cette limite, ce seuil entre la mort et la renaissance naturelle, restera à jamais ce temps infime qui ne nous appartient pas, ce temps infime qui nous est donné en spectacle comme pour nous éclairer sur notre rapport au réel, ce temps infime qui nous renvoie à notre existence, sans réponse, mais sans doute avec les bonnes remarques. Sans réponse, mais sans doute avec cette espérance que nous avons de vivre notre présent.

 

Et c’est bien de cette espérance dont Pascal parle lorsqu’il nous suggère d’examiner nos ‘pensées’, trop « occupées au passé et à l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. »

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illustrations : film SOLEIL VERT - Richard Fleischer - 1973
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